ET LISEZ RECLUS 6 Annie Saumont
La couverture du Courrier international de cette semaine : un choix qui s'impose pour "Le sucre" d'Annie Saumont
De la mansuétude, oui, je ne peux m’empêcher d'éprouver de la mansuétude à l’égard de ceux qui en France, en Australie ou ailleurs, ont rempli leurs caddies de papier toilette à l’annonce des mesures de confinement. Malgré leur monstrueux égoïsme et la pénurie injustifiée qu’ils ont provoquée, ils ont au moins retenu une chose de l’Histoire du XXe siècle : quand on veut humilier un groupe humain, on le prive d’hygiène élémentaire.
Je repense à mon père qui avait tellement souffert du manque d’hygiène dans son Stalag qu’il ne supportait pas qu’on gaspille le moindre morceau de savon, et je revois les petits savons qu’il me confectionnait quand j'étais enfant en modelant les restes de savonnettes.
Mon oncle – je me souviens de la drôle de tête qu’il faisait un dimanche midi de mai 1982 en pleine guerre des Malouines, quand les Exocet et les Super-Étendard, qu’il avait contribué à vendre aux Argentins quelques années auparavant, avaient fortement endommagé les navires des Britanniques, nos « Alliés héréditaires ». Tout ingénieur général de l’armement qu’il était, il a, jusqu’à la fin de sa vie, sur-rempli les étagères des toilettes de rouleaux de PQ blancs ou roses, tant avaient été infâmes les latrines- et leurs corvées- du camp où il avait été retenu prisonnier quelque part près de la frontière tchèque.
Donc oui, j'éprouve de la mansuétude pour ceux qui ont stocké le PQ, surtout pour ceux qui vivent dans des quartiers oubliés, abandonnés à leurs désespérantes et précaires conditions de vie. Tous ceux à qui depuis des décennies on ne donne pas les moyens d'une dignité sociale par un emploi qui permette de vivre décemment et de se sentir utile à la société, qui vivent dans l'insalubrité, sans salle de bains, victimes impuissantes de marchands de sommeil. Alors, oui, le papier toilette est le dernier rempart de la dignité !
L’enseignement d’Histoire sur les conflits passés et plus spécialement sur la 2nde Guerre mondiale et l’Occupation sert-il à faire prendre conscience des comportements humains pour éviter qu’ils ne se répètent ? « L’expérience des autres ne sert jamais à personne. » m’assurait ce même oncle alors que, jeune adulte, je voulais à toute force croire le contraire.
Aujourd’hui, en avril 2020, les actes de délation représentent jusqu’à 70% des appels à la police. Et que dire de ceux qui envoient des lettres anonymes à leurs voisin-e-s soignant-e-s ou personnels hospitaliers pour leur demander de changer de domicile ?!
Mais je vous avais promis une deuxième partie de « Dépoussière les classiques et fait briller les contemporains. » consacrée à Annie Saumont et justement, nous sommes dans le sujet, car pour poursuivre parallèlement sur le thème "petits classiques" je n’ai pas honte de dire que c’est seulement au début des années 2000 et grâce à cet «Étonnant classique GF Flammarion » que j'ai découvert cette grande écrivaine.
"J’ai un petit ami. D’un mètre quatre-vingt-cinq. Martin. Qui ne cesse de faire des projets. Qui parle de paix universelle. Je doute. (…) Y a des gens que rien ne trouble. Martin ça lui arrive jamais.(...) Il parie sur notre avenir. Je me tais, je me recroqueville. C'est pas facile à endurer, la crainte. Mieux vaut connaître son malheur pour tenter de l'apprivoiser. J'appelle à mon secours le feu de la bataille. (...) A Martin je réponds, Calmos, on discutera plus tard. Pour l'instant la prudence est de rigueur. Ce n'est pas le moment de se lancer dans des projets. Il dit, Pourquoi ? et moi je dis, Parce que. Et je reste muette. Ça vibre au-dehors. Les populations ruminent leurs griefs. Les hommes se regardent de travers. Les femmes s'éloignent à la hâte serrant leur enfant dans les bras. Ma mère réclame de l'eau pour avaler ses gélules."
Extrait de Annie Saumont, « La guerre est déclarée » dans recueil éponyme, GF Flammarion, 2005.
Mort de l'écrivaine Annie Saumont
Quand on rencontrait Annie Saumont, on était d'abord étonné que cette femme de petite taille et d'apparence frêle écrive une œuvre aussi radicale : des textes très brefs, percutants, s'attac...
Discrète parmi les discrètes, Annie Saumont a disparu sans faire de bruit en janvier 2017. Traductrice de grands romanciers américains et anglophones. Et immense écrivaine de nouvelles- Prix Goncourt de la nouvelle en 1981 et Prix de la nouvelle de l'Académie française en 2003- elle en a écrit plus de 300 répartie en une trentaine de volumes. "Je ne suis pas une romancière" disait-elle, allant jusqu'à changer d'éditeur (Gallimard) parce qu'on voulait la contraindre à écrire un roman, sous prétexte que le roman se vend mieux !
Comme l’écrit l’article que Le Monde lui a consacré (ci-dessous) : « Écrire des nouvelles, en France surtout, c’est l’assurance d’échapper à la célébrité. »
Et c'est bien dommage !
Pour lire une analyse approfondie du style si particulier et pourtant si proche d'Annie Saumont, une étude très complète d'Yvon Houssais:
En ligne sur le lien ci-dessous :
https://www.cairn.info/revue-roman2050-2010-4.htm
Mais il n'est pas besoin de savoir ce que sont des analepses et des prolepses pour lire et comprendre Annie Saumont et son art d'impliquer en permanence le lecteur par des glissements permanents entre passé, présent et avenir.
Celle qui sait si bien "élever la parole du quotidien" et élever "au rang de révélateur les petites égratignures et les grandes blessures du temps" mérite toute votre attention.
Donc je n'en écrirai pas davantage sur Annie Saumont : l'important est de lire ses nouvelles, surtout en ce moment. Et d'ailleurs en terminant cet article, je sens un goût de manque et me dis que j'irai dès que possible faire le plein de quelques recueils que je n'ai pas.
À la une de l'hebdo. Un risque de pénurie alimentaire, vraiment ?
Chaque semaine, Courrier international explique ses choix éditoriaux, les débats qu'ils suscitent parfois dans la rédaction. À la une de ce numéro, le risque de pénurie alimentaire en questio...
Pour revenir au Courrier international en couverture, le titre montre qu'il y a de quoi être dubitatif quand on sait que les réserves mondiales actuelles sont abondantes (lire p 9) et que ce sont les stockages massifs injustifiés, la spéculation, le blocage des travailleurs saisonniers aux frontières, les préférence nationales exacerbées et un manque de coopération qui pourraient entraîner une crise artificielle. (lire p10-11 et suivantes).
C'est pourquoi certains, bien avisés, nous enjoignent de repenser notre système alimentaire (p19)
Sur la folie du stockage et son effet domino laissons une fois de plus la parole à Annie Saumont
« Devait arriver. Fallait s’y attendre. Guerre va commencer.
J’achète du sucre.
A Monoprix. Me regardent de travers. Vendeuses. Quand je passe. Mal fringué. Blouson déformé vieux futal. Caddie chargé de cartons Beghin Say (Au Prisu : Daddy’s Suc. Origny à Auchan, Sol chez Leclerc, emballage mauve). Clientes (mais pas toutes, celles qui achètent du sucre). Clientes et parfois clients. Et puis caissières. Maussades, hargneuses même. Exigeant étalage marchandise sur tapis roulant. Connasses. J’explique : c’est au carré, six sur six font trente-six. Rien à faire. Vi-dez-le-cad-die, elles répètent.
(…)
Sucre. Produit pas cher. Peut devenir produit rare, monnaie d’échange. Denrée facile à stocker. Boîtes qu’on empile comme des briques. Ça tient. Sans ciment sans mortier. Si construction établie sur base parfaitement saine et plane. »
(…)
Boîtes montées dernier étage. Par cinq kilos, beaucoup trop. A mon âge. Risques de courbatures. Paquets de sucre vont remplir tous espaces encore libres. Fond de penderie, étagère et placard à balais. Débarras, deux tiroirs commode, un seul réservé pour chaussettes et sous-vêtements thermolactyl. Sucre envahit chambre d’ami (pas d’amis), boîtes renforçant murs à leur base, s’alignant sur le tapis. Plate-forme (en sucre) prolongeant cosy. Sous fenêtre contreforts (de sucre). Cartons entassés dans fauteuil bancal. »
Extraits de Annie Saumont, La guerre est déclarée et autres nouvelles, « Le sucre », Étonnants classiques, GF Flammarion, 2005.
Dans le recueil ci-dessus, vous trouverez une nouvelle titrée "Simone". Simone est la voix féminine de la SNCF qui vous interpelle dans les gares et sur les quais.
Des étudiants de l’École Estienne l'ont adaptée en un beau très court métrage d’animation de 2mn; lien ci-dessous :
Court métrage de fin d'études du DMA Cinéma d'Animation à Estienne. Scénario d'adaptation de la nouvelle " Simone" d'Annie Saumont. Prix du meilleur film étudiant ex aequo délivré par la SA...
http://betisesnbook.blogspot.com/2011/10/la-voix-de-simone_10.html
Station Simone est la webradio décalée du moment !Rock ou pop, franco, oldies but goodies, de 1969 à 2019 en passant par tous les chemins de la culture !
Une raison de plus pour écouter SIMONE !