LA FENETRE AU SUD- GYRDIR ELIASSON-
Cher Narrateur de La Fenêtre au sud de Gyrdir Eliasson, permets que je m’adresse directement à toi qui te prénommes Jonas, c’est plus direct, plutôt qu’à ton auteur que je découvre et dont j’ai peur d’écorcher le prénom islandais avec ce bizarre petit accent sur le d, à moins que ce ne soit un o ? ...
J’avoue que ton auteur et toi, vous m’avez bien eue ! Quand je suis entrée faire le plein dans une librairie juste avant le confinement de novembre, votre Fenêtre au sud m’a fait espérer une chaude échappée de lecture. C’était sans savoir qu'il s'agit de la fenêtre au sud d’une maison noire dans un petit port retiré de l’extrême nord de l’Islande ! Et j’aurais pu m’apercevoir que les plantes dans les jardinières de la fenêtre photographiée en couverture de ce récit sont à moitié desséchées.
Comme ton cœur, Jonas ?
Et dire que maintenant je me retrouve à présenter ce livre de mon plein gré, pour un nouveau Coin de la Page sur STATION SIMONE alors qu'à chacune des quatre saisons de ton récit, j’ai pesté, Jonas, contre ton caractère impossible ! Tu as de la chance que ton auteur soit un grand poète islandais. Tu as de la chance qu’il ait également écrit Au bord de la Sanda qui parle d’un homme qui cherche à peindre la « vérité des arbres » et que je lirai plus tard, c’est sûr.
Dire, Jonas, que tu brasses une culture phénoménale : littérature, films, musique, tu connais tout. De Hermann Broch à Gurdjieff en passant par Pierre Dac et Anne Holt, d'Ivan Bounine à Narayan, des violons de Vivaldi au piano d’Erroll Garner, et de Peter Sellers à Mad Max ! J'avoue que j’ai aimé lire ton récit avec Wikipédia sur mon téléphone à portée de main.
Et cette culture universelle ne t’aide pas à survivre à la déprime, apparemment ? N’importe quoi ! c’est la panne d’écriture et donc la panne de vie, c‘est ça ? Voilà pourquoi j’ai toujours pensé qu’il fallait se mettre à écrire vieux, comme ça, pas de pression de l'éditeur sur les belles années de jeunesse. Sinon, quoi ? Écrire Le Bateau ivre, puis faire du trafic d'armes obsolètes et mourir à 37 ans amputé et carcinosé ? Quand on commence à écrire vieux et que la panne arrive, eh ben on meurt, et ça n'a plus d'importance. Je te dis ça Jonas parce que j'ai remarqué que tu as une certaine fascination pour les prix Nobel de littérature, mais courir après la postérité est vain. En fait, tu le sais très bien. En plus ça t’apprendra à commencer à écrire un roman d’amour alors que ton cœur est en berne !
Et puis tu triches : tu joues au Misanthrope, pas l’« homme aux rubans verts », mais l’"homme au vieux ruban encreur" . Le « désert » à faible densité de population dans lequel tu te retires est plus septentrional que celui d’Alceste, c’est tout !
Ta vie n’est pas « absolument sans sucre » comme tu le prétends. C’est quand même réconfortant d’avoir encore une mère qui prend de tes nouvelles et une Célimène qui t’écrit, même si tu brûles ses lettres sans les ouvrir et si tu lui écris en retour sans jamais rien poster. Ça m’énerve des mecs comme toi !
Tu t’es coupé du monde, tu t’auto-confines sans t’accorder beaucoup de dérogations, et tu écoutes la radio- ça, ce n’est pas Simone qui le reprochera !-mais change de programme, zappe les infos : à quoi ça sert, quand on a le moral et la création dans les chaussettes, d’écouter le récit des guerres et des tsunamis, tu peux me le dire, hein ?
Comme tu n'arrives plus à écrire, tu lis beaucoup. Ce ne sont pas les libraires confinés qui te le reprocheront. Tu lis Dr Faustus de Thomas Mann, et parfois il te tombe des mains. Pour cela tu es absous : malgré tout le respect sincère qu'on doit à Thomas Mann, que celle ou celui qui n’a jamais calé, par exemple, sur le tome 2 des Buddenbrook te le jette à la tête !
Couple de macareux moines islandais (espèce protégée). En Islande, certains mangent encore du macareux rôti à la crotte de mouton....
Relève -toi Jonas ! Sors de la malédiction biblique de ton prénom et laisse s’évaporer le fantôme de ton père ! Ce qui te sauve, Jonas, c’est que tu as de l’empathie pour le vivant, végétal et animal, y compris celui conduit à l’abattoir. Toi, tu ne vas pas à l’abattoir, Jonas, et tu peux contribuer à ce que d'autres n'y aillent pas. Enfin à ce qu'il en ait moins qui y aillent, ne rêvons pas, mais c'est déjà ça. Même si tu ne « veux porter aucune responsabilité », chacun de nous a sa part de responsabilité dans l’ordre des choses. Tu le sais très bien aussi. Tu vois le travail qui t’attend au lieu de te laisser mourir dans cette maison toute noire « badigeonnée au goudron comme les cercueils d’autrefois » ?
Car merci, Jonas, de m’avoir fait découvrir la beauté du pluvier doré et du petit échassier qui s’appelle « chevalier gambette ».
Tu observes :
« Eté- Tout a verdi de nouveau jusqu’à la mer. Les arbustes le long de la clôture ont pris des feuilles, le pré est plus vert qu’une table de billard. Tout cela s’est fait en un temps record. Calme plat, jour après jour, et douceur de l’air. »
Permets-moi d’y ajouter ces vers que tu connais :
« …vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d’animaux, paix des rides »
Mets un peu de vent dans tes semelles, Jonas, au lieu de te chanter Quatre Saisons en Enfer. Et merci pour cette palette nordique que tu déploies, du gris de lave au gris de mousse avec quelques touches vives, comme si Caspar David Friedrich avait rencontré Nicolas de Staël :
Et tu dis :
« Du phare, on voit les grands rochers qui ressemblent aux flèches d’une cathédrale. Ils sont maintenant blancs de glaçons et font penser à une grande main tendue, ou plutôt aux griffes d’une énorme bête. La mer est d’un gris de plomb. Tout au loin, je vois un cargo, peint en rouge, à très haute superstructure. Au-dessus de lui se fronce un banc de nuages sombres entre lesquels se fait jour un sillon de ciel jaune citron. »
J’ai beaucoup aimé les fulgurances poétiques de ce faux journal d’une création qui se délite, de La lumière qui s’éteint, comme dans le roman de Kipling, mais en blanc sur blanc. Et j'ai aussi apprécié la belle qualité de l'édition et la respiration de la mise en page.
C'est La Fenêtre au sud, de Gyrdir Eliasson , traduit de l’islandais par Catherine Eyjolfsson, Edition La Peuplade.
Du même auteur :
/image%2F2092817%2F20201125%2Fob_a1b136_lp2017-ecureuil-cover-161201-226x339.jpg)
Prochainement cette chronique dans Le coin de la Page, sur STATION SIMONE