2020-21 : RECONSIDERATIONS

Publié le par Claude Léa Schneider

Cambridge, Corpus Clock, la sauterelle chronophage

Cambridge, Corpus Clock, la sauterelle chronophage

"Sauterelle, où vas-tu ?
- Sur l'autre versant du bois,
- Mante verte, où vas-tu ?
- Sur l'autre versant du bois.
- Pourquoi quittez-vous la clairière si fraîche ?
Vous le savez pourtant où vous allez, là-bas, les feuilles à poison et l'humide chaleur de l'herbe vous tueront."

Jean Giono, Rondeur des jours.

Vous ne supportez plus d'entendre ou de lire  que "2020 est la pire année de notre histoire" comme l'a titré récemment  le magazine TIME ? Moi non plus  ! Alors bienvenue dans cette chronique.

 

Dessin de TIME pour illustrer l'année 2020 et triptyque Der Krieg, Ott DIX, 1932

Dessin de TIME pour illustrer l'année 2020 et triptyque Der Krieg, Ott DIX, 1932

Entre l'illustration de TIME pour synthétiser les malheurs de 2020 et le triptyque  allégorique  d'Otto DIX, La Guerre ( en l'occurrence celle de 1914-1918, mais aussi de façon prémonitoire celle qui suivit ),  il y a autant de distance dramatique et historique qu'artistique !

Voilà qui ferait tristement sourire (ou qui indignerait !) deux ou trois  générations de nos ascendants devant notre arrogance à ne considérer que le présent !

La faute à qui  ? à quoi ? Comment peut-on écrire que 2020 est "la pire année de notre histoire" ?

La faute à notre "présentisme" écrit l'historien François Hartog,  à notre folie de l'instantanéité,  accélérée par les médias, qui nous fait tirer des conclusions immédiates sur ce qui vient de se passer sans aucun recul historique.

François Hartog écrit qu' il y a à peine un demi-siècle, "la grande catégorie, vers laquelle on se tournait, dans laquelle on mettait tous ses espoirs c’était le futur." On peut penser aux fameux "lendemains qui chantent", mais aussi à l'intérêt que l'on portait à la conquête de l'espace. Et à l'espoir qu'on plaçait dans les jeunes générations. On était encore dans la période de "reconstruction" de l'après-guerre.

 (L'humour de Philippe  Geluck : tout en un dessin !)

Puis, dit-il, "il n’y a plus que du présent et un présent qui se veut se confiner sur lui-même." 

Quant à notre regard sur le passé, il s'est transformé, il est moins "historique" que "nostalgique". 

"Ou bien le passé n’existe plus : tout ce qui est hier ou il y a 3000 ans, c’est la même chose. Mais nous avons aussi vécu depuis les dernières décennies sous l’empire de la Mémoire (...) [de la] mémoire et non de l’histoire…"

François HARTOG, Chronos, L’Occident aux prises avec le temps (Gallimard).

François HARTOG, Chronos, L’Occident aux prises avec le temps (Gallimard).

Le Chant du Monde, La conquête de l'espace, tapisserie de Jean Lurçat, (1892-1966).

Quand Luçat tissait en couleur  un futur  plein d'espoir.

Et si nous sommes devenus  arrogants et vaniteux jusqu'à nous croire immortels,  c'est peut-être parce que nous avons perdu l'habitude de contempler des "Vanités", qui , au sens propre, remettent les pendules à l'heure !

Memento mori, Pompéi, 1er siècle avant JC.

Cette nature morte au crâne, de Cézanne, qui date de la fin des années 1895, est moins connue, mais tout aussi efficace.

Cette nature morte au crâne, de Cézanne, qui date de la fin des années 1895, est moins connue, mais tout aussi efficace.

En 1977, sur ce tableau de Bernard Buffet, le crâne a disparu, mais le message est le même.

En 1977, sur ce tableau de Bernard Buffet, le crâne a disparu, mais le message est le même.

Notre erreur vient peut-être  de vivre dans un temps linéaire, cette  représentation chrétienne et occidentale du temps. Remarquez que la flèche ci-dessous est ascendante. A la lumière de ce qu'écrit François Hartog, dans quel sens poursuivre la flèche sur les  deux siècles suivants ?

 

A l'époque des grands conflits ouvriers, le temps historique  pouvait être perçu comme dialectique. Quid du mot "Fin " ? "The End"  qui s'inscrit sur  le dos de Charlie Chaplin et Paulette Goddard sur la dernière image des Temps modernes ?

 

Et  si le temps était circulaire ? Ecoutons le poète: 

"... ceux-là qui disent : les jours sont longs.
Non, les jours sont ronds.
Nous n'allons vers rien, justement parce que nous allons vers tout, et tout est atteint du moment que nous avons tous nos sens prêts à sentir. Les jours sont des fruits et notre rôle est de les manger, de les goûter doucement ou voracement selon notre nature propre, de profiter de tout ce qu'ils contiennent, d'en faire notre chair spirituelle et notre âme, de vivre. Vivre n'a pas d'autre sens que ça.
Tout ce que nous propose la civilisation, tout ce qu'elle nous apporte, tout ce qu'elle nous apportera, rien n'est rien si nous ne comprenons pas qu'il est plus émouvant pour chacun de nous de vivre un jour que de réussir en avion le raid sans escales Paris-Paris autour du monde."

 

 

Et s'il y avait différentes "rondeurs des jours " ?!

 

Bon, quand la physique quantique s'en mêle, ça se complique !

Raison de plus pour relativiser et reconsidérer notre perception du temps, et de l'année qui vient de s'écouler. "s'écouler" est-ce le bon verbe ? Toujours la clepsydre !

Ces schémas du temps sont extraits du n° 1468 ( 20 décembre 2018) du Courrier international.

 

Relativiser, reconsidérer notre perception de 2020. D'accord, facile à dire quand on n'a pas perdu un proche, ou son emploi, voire les deux. Ou qu'on n'a pas été touché durement par le virus.

Mais tout de même, il y a cette sensation que je trouve fascinante d'être en train de vivre une époque nouvelle où on pose un regard différent sur un certain nombre de faits, de concepts ...Et que je trouve pleine d'espoir !

D’abord, cette constatation récente : les échanges de vœux en ce mois de janvier2021  sont beaucoup moins formels, ce ne sont plus les vœux standards de ces dernières années adressés  à toute une liste de diffusion, comme une simple formalité coupée de sens. Ils sont plus sincères, plus personnels, certain-e-s ami-e-s écrivant même pour la circonstance un texte sur leurs beaux moments de l'année 2020 !

Et ça fait chaud au cœur !

Ensuite et surtout, on commence  à reconsidérer sérieusement la place de l’espèce humaine dans l’échelle du vivant. J'ai écrit  "l’échelle du vivant". Mais là est l’erreur : il n’y pas d’échelle ! Ni haut ni bas ! Il y A.  Le gros coup d’envoi en février 2020 avec le livre de Baptiste Morizot, Manières d'être vivant. Et  comme pour appuyer sa thèse, le/la COVID en libérant des espaces urbains de l’activité humaine nous a fait comprendre à quel point le monde "sauvage"  est là, tout proche.   Nous avons été contraints de poser un regard différent sur l’animal lorsqu'il  pénétrait dans nos villes  en jetant des regards curieux. Les images et les vidéos qui ont circulé ont été de magnifiques moments. 

Des renardeaux jouant près de la promenade de Woodbine Beach à Toronto, le 10 mai 2020. PHOTO Brett GundlockThe New York Times

Des renardeaux jouant près de la promenade de Woodbine Beach à Toronto, le 10 mai 2020. PHOTO Brett GundlockThe New York Times

Notre "chant du monde" s'ouvre donc  à une nouvelle façon d'appréhender toutes les formes de vie et à reconsidérer la notion de conscience, même si à cet égard nous n'en sommes qu'aux balbutiements puisque nous sortons (enfin!)  du système cartésien.

 Nous savons maintenant que nous ne savons pas bien ce qu'est la conscience, nous nous interrogeons sur la DMC (dissociation motrice et cognitive), sur  "l'état végétatif",   sur le "syndrome d'enfermement" et sur comment "débloquer la voix" (cf article ci-dessous)  Saurons-nous un jour comprendre "l'état végétatif" et "état végétal"   et "débloquer" toutes les voix du vivant ?

Un rapport qui mettra tout le monde d'accord, y compris les sceptiques : celui commandé par l'INRA en mai 2017 -qu'on ne peut pas soupçonner de spécisme !- qui fait la synthèse  sur ce que nous connaissons de la conscience animale, étude portant essentiellement sur les animaux d'élevage (mais pas que) puisque l'INRA pose la question de notre responsabilité envers ces animaux, leur bien-être physique et mental.

Lisez les 7 pages (claires)  de ce résumé (lien ci-dessous) et vous en serez ... je ne trouve pas le mot qui convient ! 

Pour terminer cet article de façon plus ludique, mais non moins réflexive, je vous suggère de voir ou de revoir le film "Premier Contact", mal jugé car mal compris  à sa sortie en 2016, qui propose une réflexion particulièrement intéressante et originale sur le décodage du langage, ici des  aliens pacifiques et heptapodes, et donc de toute forme de langages autres qu'humains,  ainsi que sur la perception non linéaire du temps. -L'héroïne du film se prénomme Hannah, prénom-palindrome...

Jets d'encre logogrammes des aliens de Premier contact, "symboles magnifiques entre  le test de Rorschach et l'action painting de Jackson Pollock". (Jacques Morice).

Premier Contact (film) — Wikipédia (wikipedia.org)

Ce qui renforce l'idée que nous allons chercher bien loin des "aliens" alors qu'ils nous entourent : ce sont les animaux  et les plantes dont nous commençons à peine à entre-apercevoir  l'intelligence hors de nos normes humaines.  Ces "premiers contacts" sont un beau programme pour les années à venir, non ? 

Document partagé via Facebook

Franco Fortunato (peintre italien né en 1946) La fabrique du temps.

Franco Fortunato (peintre italien né en 1946) La fabrique du temps.

Beaucoup de liens dans cet articles, me direz-vous ? Oui, juste pour ouvrir des pistes et essayer de vous prouver que nous vivons une époque passionnante (sans ironie). Car  je me garderai bien de m'exprimer au-delà de mes domaines de compétence : "Sutor, ne supra crepidam !" comme disaient les Romains. 

Je ne fais donc pas d' "ultracrépidarianisme",  même si on entend beaucoup de non-spécialistes s'exprimer sur le/la COVID par les temps qui courent ! Vous me direz- et vous aurez raison- que même les spécialistes sont parfois "diafoireux" ! 

Dali, Persistance de la mémoire corpusculaire.

Dali, Persistance de la mémoire corpusculaire.

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