Approche cognitive
Chronique n°25 du dimanche 26 mars 2017
N’écoutant que son courage, Hervé Pizzinat, proviseur du Lycée Alexis de Tocqueville de Grasse, qui dirige cet établissement depuis trois ans et qui est apprécié de tous, a été blessé par balle à l’épaule en faisant barrage physiquement à l’adolescent armé qui voulait tirer sur des élèves du lycée et il a parlementé avec lui, malgré la menace d’une arme, pour essayer de le calmer.
Pour cet acte de courage, plusieurs personnes ont demandé qu’il soit décoré de la Légion d’Honneur, mais lui, interrogé le lendemain par les média, a déclaré modestement que ce qu’il avait fait n’avait rien d’extraordinaire et qu’il ne portait pas de tenue de super–héros parce que tout est allé très vite et il a même dit : "Je ne peux pas vous expliquer ce qui s'est passé hier parce que c'est assez inexplicable".
Alors là, je suis choquée ! pas vous ? quelle manière commune, voire triviale d’expliquer, voire de non-expliquer, ce qui s’est passé alors que, en tant que chef d’établissement, il dispose du riche vocabulaire des sciences de l’éducation ! Non, vraiment, il ne mérite pas les honneurs !
Parce que, c’est bien connu, la verbalisation d’une action vécue requiert une connaissance autonome incorporée et contient une part sensible de savoir-faire non conscient, puisqu’elle se situe a posteriori de la situation réelle spécifiée.
Décrire la façon dont il s’est interposé fait appel aux diverses formes de la mémoire et aux récepteurs sensoriels, mais disons que son acte a été une articulation d’actions réfléchies et d’automatisation de procédures qu’il a mises en œuvre en activant le plan de confinement, qu’il y a eu une continuité spatio-temporelle d'actions pour neutraliser son adversaire en lui imposant une domination corporelle symbolique, tout en tenant compte des contraintes données grâce à une approche sociale et cognitive.
Même si les tenants du behaviorisme, qui considèrent l’expérience sensible comme le réel, soutiendraient la thèse selon laquelle son comportement a été le résultat de l'expérience que l'environnement lui a fait vivre, il a su gérer l’intervenant non-coopératif et intrusif grâce à une flexisécurité transparente, à la faveur de laquelle le pire a été évité.
Rappelons en effet que les tâches d’un chef d’établissement de l’Education Nationale
- l’obligent à savoir mobiliser les pôles d’échanges intermodaux de cohortes de population scolaire en milieu standardisé,
- qu’il doit être capable de fédérer les acquis communautaires par une méthode ouverte de coordination avec des repères de progressivité,
- qu’il est important qu’il favorise les gisements d’efficience par l’éclosion des potentialités internes,
- qu’il se doit de promouvoir le principe de subsidiarité tout en fédérant les polarités de la création et de l’innovation dans un développement en contexte,
- Et que surtout, il doit pouvoir absorber toutes les données substancielles du jargon de l’Education Nationale, ses circulaires, ses directives, ses recommandations et savoir les appliquer sans dégrader ses propres performances cognitives globales, c’est-à-dire, en clair, sans devenir dingue ! Et c’est bien ce qu’il a su faire !
- Et ça aussi, ça mérite la Légion d’Honneur ! Donc il l’a doublement mérité, sa Légion d’Honneur, le proviseur Hervé Pizzinat !!!
Post-Scriptum : Non, l’enseignement en France, ses théoriciens, ses programmes, ses manuels scolaires n’ont pas du tout de problème de langage, ils sont largement compris de l’ensemble de la population et ils n’accentuent pas du tout les inégalités sociales ! Bah non ! Mais qui dit ça ?!
Des rapports très sérieux qui démontrent que depuis des décennies l’école française creuse les inégalités sociales, comme le souligne un récent rapport du Cnesco, le Conseil National d’Evaluation de Système Scolaire, la France est le pays le plus inégalitaire de l'OCDE et fait partie de ceux dont le niveau des élèves défavorisés a le plus baissé entre 2003 et 2012.
Et en plus ce sontt des rapports commandés par l’institution elle-même, qui coûtent cher, qui s’entassent et dont elle ne tient pas compte! Parce que, c’est vrai, pourquoi changer des équipes qui perdent et des méthodes qui font perdre? Alors que c’est tellement mieux de se tirer une balle dans le pied ?
Certes, chaque profession a son jargon et son glossaire, mais d’où on sort cette idée bien ancrée dans les lobbys disciplinaires de l’Education Nationale que parler simplement avec les mots du langage commun est une dégradation intellectuelle ?
- Ça me rappelle une réplique du Mariage forcé de Molière, quand Pancrace, le philologue pédant, demande à Sganarelle :
- De quelle langue voulez-vous vous servir avec moi ?
Ce à quoi Sganarelle répond
- Parbleu, de la langue que j’ai dans la bouche !
Allez, pour en savoir plus, et pour rire, ou pleurer, ou pleurer de rire, en plus du livre ci-dessus que je n'ai pas lu mais dont on dit du bien, voici quelques liens :
http://www.astro52.com/dico.html
http://www.slate.fr/story/81979/soigner-education-nationale-jargon
https://www.ac-paris.fr/portail/jcms/p1_490017/pedagogie-et-psychologie-de-l-education-glossaire#R
Et pour terminer ce Club Sandwich, Christophe, notre meneur de jeu, vous recommande la lecture de ce livre (que pour ma part je vais m'empresser de lire).
Quant à moi, je ne saurais trop vous recommander celui-ci :
Le podcast complet de l'émission,
il est là :
http://www.radio-cultures-dijon.com/podcasts/club-sandwich-emission-du-dimanche-26-mars-2017-284