Voltaire, Rousseau, Mozart, 3ème partie : le vin
Et maintenant, une boisson qui intéresse nos Voltaire, Rousseau et Mozart, nos trois gars du quartier, et que vous attendez tous : le vin !
Mais d’abord occupons-nous rapidement de la bouteille. La bouteille en verre existe depuis l’Antiquité, mais petite et plutôt pour contenir des parfums. Elle commence à contenir du vin en Europe dès la fin du Moyen Âge, mais le rôle de la bouteille se limitait à assurer le trajet de la cave à la table. Les autorités n’étaient pas favorables à faire voyager les bouteilles sur de plus longues distances, parce que les contenances n’étaient pas réglementées et donnaient souvent lieu à des fraudes.
Mais tout change au XVIIIe siècle. Regardons ce tableau de Jean-François de Troy Le déjeuner d'huîtres, commandé par Louis XV pour les petits appartements de Versailles, tableau où il n’y a que des messieurs. Il faut vous dire qu’à l’époque, les huîtres, comme le chocolat et les artichauts, sont considérés comme aphrodisiaques ! Les convives boivent du champagne, quatre personnages regardent le bouchon qui saute. Les bouteilles sont foncées et trapues.
Devant la table, une desserte-rafraichissoir sert à garder les bouteilles au frais dans de la glace et à ranger les assiettes (le 18e siècle adore inventer des petits meubles pour tous les usages).
Ce sont les Anglais qui ont mis au point la bouteille en verre noir très épais, avec une large base, bien bouchée grâce au bouchon de liège qui vient d’être inventé. En 1728, Louis XV donne l’autorisation du transport de champagne en bouteilles. Et en 1750, l’année où Rousseau remporte le prix de l’Académie de Dijon – vous le retiendrez- Louis XV donne l’autorisation du transport des bouteilles de bourgogne.
En 1792, avec la création du système métrique, la bouteille de vin sert aussi de mesure.
Et regardons aussi les verres dans lequel on aime déguster le vin. Vous en possédez peut-être toujours de semblables.
Toujours au 18ème siècle, on s’aperçoit que le vin se bonifie en vieillissant. Les amateurs se tournent alors vers des vins plus évolués, aux arômes plus complexes. A partir de 1760, les appréciations sur les vins se multiplient dans les récits et les guides de voyage. Ce sont les débuts du discours œnologique qui va se développer au 19ème siècle.
Rousseau aime le vin, il ne s’en est jamais caché, il l’écrit plusieurs fois dans les Confessions, mais il prend bien la peine de signaler qu’il n’a jamais été « ivre d’alcool » Il fait beaucoup de comparaison entre les vins de Suisse, il préfère « le vin du cru, qui est le vin de pays des gens modestes » aux vins fins qui sont « un luxe des élites sociales »
Dans L'Emile ou De l’Education, 1762, on remarque qu’apprendre à déguster le vin fait partie de l’éducation reçue par Emile.
Dans La Nouvelle Héloïse, Julie de Wolmar présente à son amant une carte des vins qu’ils dégustent ensemble, ce sont des vins blancs du Valais et elle conclut:
« Comme on est sûr de ce qui les compose, on peut au moins les prendre sans risque », avec l'idée de bien connaître l’origine de ce que l’on boit et de ce que l’on mange, idée dont nous retrouvons l'importance aujourd'hui.
Alors justement : qu’est-ce qu’on mange ? Dans la France du 18ème siècle, le « régime de Pythagore » jouit d’un regain d’intérêt parmi les naturalistes, des juristes et les écrivains.
Par ailleurs Julie est végétarienne, comme Rousseau, qui l’est parce qu’il considère que la nature humaine est frugivore, et aujourd’hui on dit que Rousseau a été " le premier à poser les bases de l’éthique animale."
Comme vous allez le voir ensuite, Voltaire est également végétarien, mais lui on le considère plus comme un précurseur de l’antispécisme, c’est-à-dire : sortons du système d’Aristote, il n’y a pas d’espèces d’en haut et d’espèces d’en bas, comme il le dit dans cet extrait du Dialogue du chapon et de la poularde :
« LA POULARDE. Eh bien! quand nous serons plus gras, (les hommes) le seront-ils davantage?
LE CHAPON. Oui, car ils prétendent nous manger.
LA POULARDE. Nous manger! ah, les monstres!
LE CHAPON. C’est leur coutume; ils nous mettent en prison pendant quelques jours, nous font avaler une pâtée dont ils ont le secret, nous crèvent les yeux pour que nous n’ayons point de distraction; enfin, le jour de la fête étant venu, ils nous arrachent les plumes, nous coupent la gorge, et nous font rôtir.(…)
LA POULARDE. (…) Nous traite-t-on ainsi dans le reste du monde?
LE CHAPON. (…) Non.(…) dans un pays nommé l’Inde (…) les hommes ont une loi sainte qui depuis des milliers de siècles leur défend de nous manger; (…) un nommé Pythagore, ayant voyagé chez ces peuples justes, avait rapporté en Europe cette loi humaine, qui fut suivie par tous ses disciples.
« LA POULARDE. Eh bien! quand nous serons plus gras, (les hommes) le seront-ils davantage?
LE CHAPON. Oui, car ils prétendent nous manger.
LA POULARDE. Nous manger! ah, les monstres!
LE CHAPON. C’est leur coutume; ils nous mettent en prison pendant quelques jours, nous font avaler une pâtée dont ils ont le secret, nous crèvent les yeux pour que nous n’ayons point de distraction; enfin, le jour de la fête étant venu, ils nous arrachent les plumes, nous coupent la gorge, et nous font rôtir.(…)
LA POULARDE. (…) Nous traite-t-on ainsi dans le reste du monde?
LE CHAPON. (…) Non.(…) dans un pays nommé l’Inde (…) les hommes ont une loi sainte qui depuis des milliers de siècles leur défend de nous manger; (…) un nommé Pythagore, ayant voyagé chez ces peuples justes, avait rapporté en Europe cette loi humaine, qui fut suivie par tous ses disciples.
(…) Il prouve que nous sommes les alliés et les parents des hommes; que Dieu nous donna les mêmes organes, les mêmes sentiments, la même mémoire, le même germe inconnu d’entendement qui se développe dans nous jusqu’au point déterminé par les lois éternelles, et que ni les hommes ni nous ne passons jamais! En effet, ma chère poularde, ne serait-ce pas un outrage à la Divinité de dire que nous avons des sens pour ne point sentir, une cervelle pour ne point penser? Cette imagination digne, à ce qu’ils disaient, d’un fou nommé Descartes, ne serait-elle pas le comble du ridicule et la vaine excuse de la barbarie?
Aussi les plus grands philosophes de l’antiquité ne nous mettaient jamais à la broche. Ils s’occupaient à tâcher d’apprendre notre langage, et de découvrir nos propriétés si supérieures à celles de l’espèce humaine(…). Les sages ne tuent point les animaux(…). »
Mozart n’est pas du tout végétarien, il évoque souvent son « solide appétit », il aime le chapon, la truite le porc, et il est plus gourmand que gourmet. Pour faire simple, sa table serait plutôt représentée par le 1er tableau ci-dessous, pour ne pas dire le 2ème !
A Ferney, Voltaire travaille beaucoup, il est toujours hyperactif, il écrit ou dicte une quarantaine de lettres par jour (il y en a 6000 répertoriées), plus ses ouvrages en cours.
C'est à Ferney qu’il écrit le Traité sur la Tolérance, le Dictionnaire philosophique, la Philosophie de l’Histoire, et les 9 volumes des Questions sur l’Encyclopédie ...
Il vit avec sa nièce, veuve, Mme Denis, la fille de sa sœur. C’est vraiment l’Aubergiste de l’Europe, parce qu’on vient le voir de toute l’Europe. C’est Mme Denis qui reçoit comme maîtresse de maison :
« J’ai quelquefois 50 personnes à table. Je les laisse avec Mme Denis qui fait les honneurs, et je m’enferme ».
Qu’est-ce qu’on mange ? On mange de la nourriture de bonne qualité en petite quantité. Et qu’est-ce qu’on boit ? Voltaire se dit bourguignon, parce que Ferney, qui est dans le Pays de Gex, appartenait alors à la Bourgogne. Il a une belle cave : il y a du Champagne, des vins du Languedoc, de la vallée du Rhône, du Beaujolais, du Val de Loire, de Malaga, de Tokay.
Mais beaucoup de bourgognes et surtout du Corton.
Par son médecin, le docteur Tronchin de Genève, il avait fait la connaissance de Gabriel Le Bault, président du Parlement de Bourgogne, dont la femme, peinte ici par Greuze possédait des vignes à Corton situées aux climats « Les Perrières » et « les Bressandes. » Voltaire écrit à Le Bault :
« J’ai beaucoup de bons vins pour les Genevois qui se portent bien, mais à moi malade, il me faut un restaurant bourguignon. (…) Je ne puis souffrir d’autre vin que le vôtre! (…) Je donne d’assez bon vin de Beaujolais à mes convives de Genève mais je bois le Corton en cachette. (…)Je vous supplie de m’envoyer quatre tonneaux de Corton toutes les années tant qu’il plaira à la nature de me permettre de boire. »
Voltaire ne demande pas seulement du vin à Le Bault, mais il veut jouer au gentleman-vigneron : « J’ai la fantaisie de cultiver dans mon terrain hérétique quelques ceps catholiques… serait-ce prendre trop de liberté que de m’adresser à vous pour avoir deux cents pieds des meilleures vignes? Ce n’est qu’un très petit essai que je veux faire. Je sens combien ma terre est indigne d’un tel plant mais c’est un amusement dont je vous aurais obligation. » « Je sais qu’il est ridicule de planter à mon âge (68ans) mais quelqu’un boira un jour le vin de mes vignes et cela me suffit. (…)« Je ne connais rien de plus beau ici-bas que le travail de la vigne. »
Mais il doit bien se rendre à l’évidence, il n’a pas la terre qui convient qu’il ne peut, comme il dit, « que plaisanter avec son terrain calviniste. »
Mozart est gourmand et buveur sans modération, l’alcool coule à flots dans son œuvre et dans sa correspondance : il aime particulièrement le tokay et les vins de Moselle, le champagne,et surtout le Marzemino, un cépage italien de raisins noirs d’Italie du Nord, qu’il cite dans Don Giovanni.
En 1777, il part à avec sa mère à Paris (qui y décédera, c’est pourquoi vous la voyez en médaillon sur le tableau de la photo ci-dessous), en passant par l’Allemagne. Son père est obligé de rester à son poste à Salzbourg et Mozart, qui a 21 ans, est comme soulagé :
« Mon cœur est aussi léger qu’une plume ! »
Plusieurs fois Mozart voudrait se fixer un peu, il l’écrit à son père qui lui répond en substance et en langage moderne :
« ça va pas, non ?! Et ta carrière !!! »
C’est le cas à Mannheim, où Mozart se fait des amis, mange, se cuite et se lâche, comme il le raconte le 14 novembre 1777 :
« Moi, Johannes Chrysostomus Amadeus Wolfgangus Sigismondus Mozart, je m’accuse de n’être rentré qu’à minuit à la maison, hier et avant-hier (et souvent déjà), et d’avoir de dix heures à ladite heure, chez Cannabich, en sa présence et en compagnie de sa femme, de sa fille, de M. le Trésorier, de Ramm et de Lang, souvent — et sans remords mais très légèrement — rimaillé. De plus, uniquement de cochonneries avec crotte, chier et lécher le cul, en pensée, en paroles, et — mais pas en action. Je ne me serais pas conduit d’une façon si dévergondée, si l’instigatrice — la dénommée Lisel (Elisabeth Cannabich) ne m’y avait poussé et excité ; mais je dois avouer que j’y ai pris grand plaisir. Je reconnais du fond du cœur tous ces péchés et ces écarts dans l’espoir d’avoir assez souvent à les confesser, et prends la ferme résolution d’amender toujours plus la vie dissolue que j’ai commencée à mener. — C’est pourquoi je demande la sainte absolution, si elle peut s’obtenir facilement. Sinon cela m’est égal, car que le jeu continuera. Lusus enim suum habet ambitum comme le chante le bienheureux Meissner, chapitre 9 page 24, et aussi le saint Ascenditor [le cafetier Staiger], patron du potage au café brûlé, de la limonade moisie, du lait aux amandes sans amandes, et tout particulièrement de la glace aux fraises remplie de glaçons, puisqu’il est un grand connaisseur et artiste en matière de choses glacées. »
Alors, si Mozart aimait tant le vin, quoi d’étonnant si aujourd’hui des viticulteurs bonifient leur vin au son de Mozart ? Je termine exprès par un sujet qui va vous faire parler ! De la musique dans les vignes :
Un vigneron de Toscane a eu l’intuition que jouer de la musique à la vigne serait bénéfique pour sa croissance et la rendrait épanouie, il travaille avec les universités de Pise et de Florence. Il déclare :
« Avec ces universités nous avons étudié, à la fois sur le terrain et en laboratoire, les effets positifs des ondes sonores sur le système racinaire de la vigne, les feuilles et les fleurs, et en particulier sur l’effet répulsif des ondes sonores sur les parasites et les prédateurs. »
D’autres mettent de la musique dans les caves pour bonifier le vin, c’est le cas d’un domaine d’Afrique du Sud, dans l’arrière-pays du Cap, dont le propriétaire affirme :
"Nous n'utilisons que du baroque et du classique parce que les deux ont des rythmes mathématiques, et il a été prouvé que les ondes sonores ont un effet positif sur la vie naturelle.(…) "Le vin est un être vivant, avec de nombreuses bactéries, et le processus de fermentation lui-même est fait avec des organismes vivants"
Et plus près de nous, dans le vignoble de Santenay, dans une cave, il y a sur une table, deux haut-parleurs, une chaîne hi-fi et un CD de Mozart, et le jeune viticulteur explique :
"Les fréquences musicales ayant des incidences sur les bactéries et les molécules d'eau, je me suis renseigné, et notre oenologue a trouvé l'idée bonne d'essayer sur les levures, dans le vin. Nos recherches nous ont conduits à choisir les fréquences de la Petite musique de nuit de Mozart. (…) Pour la première fois, il n'y a eu aucun blocage de fermentation. La courbe a été égale et identique dans tous les fûts, ce qui ne nous était jamais arrivés. Les vins sont purs et très en place.
Tout cela vous étonne ? Mais après tout, vous avez bien qu’il faut également faire entendre de la bonne musique aux bébés, bien avant leur naissance…
Alors, musique !